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« L’ART DIFFICILE ET DELICAT DE L’ACTEUR »
Conversation avec Danio Manfredini (par Oliviero Ponte di Pino)
Extraits : « Le théâtre est un art dur » conclut Danio avec la voix à peine voilée de la fatigue. « qui passe par des taudis noirs, dans lesquels le corps te pèse et tu ne peux plus bouger »
Ses spectacles naissent toujours de voyages longs, douloureux, dispendieux dans « cette contrée mienne que j’ai appelée Espagne » comme dit Jean Genet dans la dernière phrase du Journal du Voleur.
C’est une méthode de travail dans laquelle le hasard donne forme à la nécessité, à travers de continuelles improvisations, annulations, montages et remontages, doutes et remises en question ; (…) Même Cinema Cielo naît d’un acte de désamour à l’égard du théâtre, d’une trahison. Il est le fruit du désir de prendre le roman Notre-Dame-des-Fleurs de Genet - un auteur que Danio aime et sur lequel il a souvent travaillé – et d’en faire un film. Puis à un certain moment pendant qu’il travaillait avec deux acteurs Patrizia et Giuseppe il s’est aperçu que ce projet ne l’intéressait plus et que probablement le film ne se ferait jamais, parce qu’il aime le théâtre et non le cinéma et que peut-être après dix ans d’écriture et de réécriture était venu le moment d’utiliser ce matériel, cette expérience pour réaliser un spectacle théâtral qui part de ce monde là et de cette atmosphère. Un nouvel amour, un nouveau voyage. Comme d’habitude c’est un parcours long et tortueux. Après un an de travail et de répétitions, en se demandant quels rôles devaient jouer sur scène Genet et son roman.
Danio explique «Notre-Dame-des-Fleurs se passe dans les années 40 mais ce n’est pas une reconstruction historique ou d’atmosphère qui m’intéresse, c’est le présent.»
Danio nourrit un grand respect pour les acteurs du cinéma porno : « Je ne supporte pas ceux qui en parlent comme des acteurs sans dignité. Au fond, ils ne font que juger des acteurs qui offrent peut-être inconsciemment la part la plus délicate d’eux-mêmes. Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, les corps de ces acteurs dansaient leurs étreintes sur l’écran du cinema Cielo, une de ces salles qui ont prospéré entre la libération sexuelle et l’arrivée des videocassettes. Aujourd’hui, il est fermé, on le dénigre. Mais c’était un monde fascinant, celui des cinémas porno. Des personnes très différentes y allaient : l’homme marié, le gay, le trans en recherche de clients, le garçon curieux, quelques prostituées et parfois un couple un peu étrange. Aujourd’hui ces salles ont été remplacées par des clubs privés, où inévitablement on trouve une faune plus sélectionnée. »
Ces spectateurs, Danio les a étudiés comme un anthropologue qui rend visite à une tribu en voie d’extinction au fond d’une forêt équatoriale. Il a inventé une trentaine de personnages qui animent la salle mais aussi le hall avec la caissière, et les toilettes… C’est là, dans cette humanité mélangée, marginale, qu’affleure le vécu, la contemporanéité.
Au début il y avait une grande quantité de notes, de propositions, de mondes, d’idées. Puis il a fallu comme d’habitude voir « si la scène te répond ou pas ». Parce que le travail de Manfredini n’est pas celui d’un dramaturge qui écrit et puis met en scène. Il n’y a jamais un texte (ou une partition gestuelle) à représenter, un scénario à suivre mais des matériaux et des impulsions à ordonner après avoir été expérimentés, forgés, affinés sur la scène. Après avoir trouvé leur vérité dans l’action théâtrale, dans le geste.
Le parcours ne peut être linéaire. Les solutions ne sont jamais faciles car elles doivent paraître nécessaires. Ainsi à la fin il y a deux couples très différents : celui dont nous sommes partis et celui auquel nous sommes arrivés après un an de travail.
« Par exemple que faire de Genet et de sa présence dans le roman comme narrateur et moteur des événements, comme témoin et carburant lyrique ? Si on enlève la présence de Genet, le roman s’appauvrit. Au fond les autres personnages sont caractérisés par très peu de traits et de faits et ce sont les mots de Genet qui donnent la complexité et la densité au roman. »
C’est un monde complexe que celui de Genet, aussi complexe que celui de Danio, chargé d’influences et d’obsessions personnelles qui se mêlent dans un langage théâtral très articulé. Leur rencontre produit d’autres stratifications, de nouveaux parcours. |
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